Depuis l’adolescence, Victor Solf, né à Düsseldorf et bilingue
franco-allemand, avait décidé que sa première langue en musique
devait être l'anglais. Ça serait l'arme fatale pour accomplir son
immense rêve de pop puis de soul chantée, pensée et jouée sans
accent. Avec The Popopopops, le duo Her puis en solo, l’anglais
devint un dogme, qui étouffa toute tentative de texte en français.
“Je trouvais que le français ne sonnait pas” , dit-il.Mais on ne
peut pas se cacher éternellement derrière des tournures empruntées
à des disques pour livrer ses sentiments, pour dévoiler son
intimité, ses failles, pour aborder la gravité. Victor a eu besoin
de plus de concision, de précision et a pressenti que le français
pouvait lui offrir ce que l’anglais aurait laissé planer en
surface.Ignorant des pans entiers de la chanson d'ici, Victor peine
pourtant à se trouver des pairs, des pères, des mères au sein de
cette musique dans laquelle il se sent étranger, étrange
même.Comment chanter en français quand on a grandi au strict régime
anglo-saxon ? Victor prend alors conseil auprès de paroliers ayant
eux-même réglé cette énigme mais c’est avec Vincha que survient
le déclic. Cette rencontre et cette soudaine complicité donna corps
à Tout peut durer. L'osmose est totale, elle s'accompagne en plus
d'une fièvre de tous les instants, qui se manifeste par des
allers-retours pointilleux, compulsifs. Avec son écriture rythmique,
issue du rap, Vincha se révèle le partenaire rêvé : il signe huit
des textes de l'album. “Quand je me suis orienté vers le français,
j'ai ressenti des choses très fortes. C'est une autre manière de
chanter, un autre rapport aux mots. Je cherchais la clarté. Ça a
été un soulagement.” En quittant la région parisienne il y a 5
ans pour le Finistère Nord, Victor a gagné en temps, en sérénité
et en concentration. Les visites y sont rares, la paix intacte. Dans
un studio installé dans sa maison, il travaille ainsi quotidiennement
le piano, il retravaille, remodèle sans répit ses chansons, en
quête de la version la plus juste : celle à laquelle musiciens et
arrangements offriront ensuite une nouvelle vie, plus large, plus
intense.Car Victor Solf est un perfectionniste esthète mais aussi un
mélomane averti qui peut citer avec fougue les Anglais de Sault
autant qu'Al Green, les Strokes comme Otis Redding, Childish Gambino
comme Jack Antonoff ou Son Lux… C’est cette boulimie qui maintient
tous ses sens en alerte.Bastien Doremus – réalisateur pour
Christine & The Queens mais aussi partenaire de Victor Le Masne ou de
SebastiAn - partage avec Victor Solf la même passion pour une musique
à la fois immuable et en chantier permanent, de la soul éternelle au
hip-hop progressiste. En l’accompagnant dans la prise de son, le
mixage et la co-réalisation de de Tout Peut Durer, il l’encourage
dans l'épure. Cette éthique s'applique jusqu'au chant,
volontairement bas, sobre, retenu, presque murmuré parfois. “On
écoutait beaucoup Gil-Scott Heron pendant l'enregistrement, pour le
mélange de groove et de minimalisme.” Pour ce faire, ils appellent
ceux qu'ils considèrent les meilleurs à leurs postes, du batteur
Louis Delorme (Air, Charlotte Gainsbourg…) au bassiste Jérôme
Arrighi (Juliette Armanet, Bachar Mar-Khalifé…) en passant par le
pianiste Vincent Charrue, issu du jazz. Des musiciens qui respectent
le silence, acceptent leur absence, sans ce besoin impérieux “d'en
mettre partout” comme dit Victor, estimant que les lieux et jeux
collectifs constituent l'âme d'un album. Confiant dans l'expertise de
Bastien et le choix commun et maniaque des équipements et techniques
de prises de son, Victor a alors pu s'abandonner à ce plaisir ancien
: jouer tous ensemble dans la même pièce, avec les regards et
sourires que ça implique. Partout, Victor joue collectif, mais il n'y
aura plus de groupe. “Je me sens aujourd'hui en paix avec moi-même,
je ne veux plus faire partie d'un groupe, tel était mon
destin”.D'autres invités participent à l'album. Comme dans ces
albums fondamentaux de la soul-music, chacun vient sublimer les
chansons, dans une surenchère de bienfaits qui commence par les
choristes, qui ajoutent textures, harmonies et ferveur dans une
bacchanale gospel. Pareillement guidés par l'excellence, des cuivres
arrangés par Fred Pallem poussent les arrangements vers la fièvre.Si
les guitares étaient le signe distinctif du groupe Her, elles n’ont
pas tout à fait disparu de cet album : on retrouve le fidèle
Louis-Marin Renaud mais aussi Bernard Butler, le brillant guitariste
du groupe Suede sur deux titres, seuls vestiges d’une session
londonienne restée sans suite.A cette équipe réduite mais dédiée,
il convient de rajouter Sylvain Taillet. Complice de Victor depuis
qu'il avait signé son groupe Her chez Barclay en 2016, il a
accompagné rigoureusement le Breton sur l'enregistrement et la
conception de Tout Peut Durer. Désormais aux commandes du label Glory
Box – un hommage à Portishead, référence commune au
music
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10/07/2025 Last update